Challenges - Février 2003

Un océan nous sépare

Voici donc de nouveau la France seule avec son anti-américanisme. Alors que les risques de guerre s'intensifient chaque jour, la moitié de l'Europe recolle à la Maison-Blanche, et le soutien de l'Allemagne à la position française est trop teinté de pacifisme pour être internationalement crédible.

Notre dossier sur les deux visages de l'Amérique, reflet de notre sentiment ambivalent à l'égard du géant américain, aide à comprendre notre positionnement si contesté. Mais quiconque souhaite aller plus loin sur le plan culturel, et saisir pourquoi nous ne parlons pas le même langage des deux côtés de l'Atlantique, doit lire l'ouvrage de Pascal Baudry, Français et Américains : l'autre rive. Publié dans quelques jours aux Editions Village Mondial, il est le produit d'une expérience unique de « cyberlivre », puisque son contenu est disponible depuis deux ans sur le Net, et a été enrichi par plus de 2000 contributions de cybernautes passionnés par le sujet, qu'il s'agisse de couples franco-américains, de salariés français travaillant dans un environnement américain ou l'inverse.

Qu'apprend-on dans ce livre ? Que, si la norme française du discours est l'implicite, la norme américaine est l'explicite et la logique, binaire : Saddam Hussein est une menace, il faut l'éradiquer. Que, si des tribunaux français peuvent acquitter des prévenus qui ont menti durant l'instruction, un parjure peut vous emmener cinq ans en prison aux Etats-Unis : Saddam dissimule la vérité, il doit être pourchassé. Que, s'il y a quatre fois plus de lois en Fiance qu'aux Etats-Unis, elles sont faites, outre-Atlantique, pour être appliquées Saddam est un outlaw, ce hors-la-loi doit être arrêté. Que, si les Français, soucieux de toujours tout réinventer, ont des difficultés avec leur organisation collective, les Américains sont les rois du process reproductible : Saddam se retrouve face à une armée de 300 000 hommes avant même que la guerre soit déclarée. Que, si la norme française est le retard, la culture américaine du temps est « monochrone » - une chose à la fois - et ponctuelle : Saddam joue avec les délais, avec la bénédiction de la Fiance, et comme il y a souvent collusion entre celui qui est en retard et celui qui l'en absout...

Bien sûr, cette analyse socioculturelle laisse de côté le contexte géopolitique et le réflexe patriotique aux Etats-Unis né du 11 septembre. Au lendemain des attentats terroristes sur leur territoire, 61 % des Américains voulaient déjà entrer en guerre, nous rappelle Pascal Baudry, mais 62 % ne savaient pas contre qui. Le savent-ils davantage aujourd'hui ?

Vincent Beaufils

NB : Les références à Saddam Hussein sont de la rédaction de Challenges.