Ouest-France - Janvier 2004

Pascal Baudry, consultant aux États-Unis
« Une attitude ambiguë par rapport à l'Europe »

Consultant, Pascal Baudry vit depuis quinze ans aux États-Unis. Dans un livre récent (1), il tente d'analyser les incompréhensions entre Français et Américains.

INTERVIEW

« Vieille Europe » : cette notion utilisée par Rumsfeld a-t-elle un sens commun pour les Américains ?

Les Américains sont toujours plus attirés par ce qui est nouveau, par le futur, que par le passé. Dans ce contexte, l'expression de Rumsfeld « La vieille Europe » est à entendre comme presque injurieuse. Les pays de l'Est représentent pour les Américains la Nouvelle Frontière, la promesse de l'avenir, malgré leur très faible poids économique dans l'Europe - dont ils n'ont cure pour la plupart. Que ces pays fassent une sorte de sécession d'avec l'Europe de l'Ouest parle à l'imaginaire américain : nous représentons l'Angleterre d'antan. Les États-Unis ont une attitude ambiguë par rapport à l'émergence de l'Europe : c'est à la fois un allié, un marché à conquérir, mais aussi une menace par rapport à l'hégémonie américaine. Alors, quand Villepin se répand dans diverses capitales pour obtenir leur opposition active à la position américaine...

Certains parlent plutôt d'un déclin américain...

Il est clair qu'avec de gros problèmes de violence, d'intégration (plus de Noirs sont en prison qu'à l'université), de drogue, d'éducation (en tout cas primaire et secondaire), et une immigration qui met à mal le melting pot, le «modèle» américain est malmené. Et puis le mercantilisme généralisé me parait faire fin de civilisation. Mais, surtout, la montée en puissance de la Chine ne laisse aux États-Unis que quelques années pour asseoir leur domination mondiale, ce qui est sans doute un facteur des exacerbations actuelles. Souvenons-nous que George W. Bush avait, au début de son mandat, commencé par s'en prendre à la Chine - et puis le 11-Septembre a fait redéfinir les priorités, mais dans une intentionnalité qui reste hégémonique.

L'Europe et la France n'ont-elles pas aussi des atouts ?

Il est clair, et Chirac l'avait bien senti au moment du déclenchement de la guerre d'Irak, qu'il y a place dans le concert mondial pour d'autres harmonies que celles de la musique militaire américaine. Cela lui a donné à jouer une carte diplomatique qui replaçait la France éternelle dans une place visible sur l'échiquier des nations, tout en recueillant une quasi-unanimité en interne. Mais, les mots ayant peut-être dépassé quelque peu sa pensée, comme on dit, il a vite fait marche arrière vis-à-vis des Américains, faisant savoir que la France ne serait pas opposée à la levée des sanctions sous certaines conditions, en, abandonnant le discours sur la multipolarité, etc. Tout cela est significatif d'une France incapable d'un message fort et constant. Comme je l'écris dans mon livre, un pays sans vision est un pays sans avenir. On peut en dire autant de l'Europe, après le piteux fiasco de la Constitution sous la présidence italienne. Des trésors sont ainsi gâchés. Oui, la France et l'Europe ont des atouts. Encore leur faut-il le courage de les jouer.

(1) "Français et Américains - L'autre rive"
(Village Mondial, 2003 - également en accès gratuit sur www.pbaudry.com)