Marianne - 26/05/2004

Français et Américains : la guerre des plumes

Connaître son voisin n'est pas ce qu'il y a de plus évident. Pourtant, de nombreux ouvrages prétendent nous expliquer comment fonctionnent tant les Français que les Américains, et ce malgré toutes les critiques que l'on puisse adresser à ce type d'analyses.

De part et d'autre de l'Atlantique, écrire sur son voisin n'est pas nouveau. Dès le début du XIXe siècle, Alexis de Tocqueville peignait un remarquable portrait de la jeune démocratie américaine. Admiratif des mœurs de ce pays, il y trouvait pourtant déjà les manifestations de patriotisme incessantes et abrutissantes, thème souvent repris par la suite dans les ouvrages parlant des Américains et des différences culturelles qui existent entre les Etats-Unis et la France. Mais depuis le désaccord autour de la seconde guerre du Golfe, les livres de la sorte fleurissent sur les rayons des librairies françaises et américaines.

Douze ans après l'analyse restée célèbre de Raymonde Carroll ( Evidences invisibles : Américains et Français au quotidien ), qui donnait de nombreux exemples de malentendus provoqués par ces fameuses différences culturelles, Pascal Baudry, un homme d'affaire français expatrié aux Etats-Unis depuis presque 20 ans, tente de comprendre ce qui fait que les Américains ne sont décidemment pas des Français et vice-versa. Dans Français et Américains : l'autre rive , il explique que les Américains regardent d'abord le côté positif des choses, tandis que les Français, plus négatifs, restent généralement suspects face à l'attitude d'un inconnu. « Pour les Français, le sourire des Américains semble – reproche suprême – stéréotypé, voir commercial. Il me sourit, donc il veut me vendre quelque chose, et s'il le fait c'est nécessairement dans son intérêt et donc pas dans le mien » , écrit-il. « Les Américains sont du côté de l'envie alors que les Français sont du côté de la jalousie. La mère américaine, puisqu'elle sèvre l'enfant très tôt, en fait trop pour lui, ce qui provoque chez les Américains l'angoisse permanente de ne pas être aimés. Pour les Français, la question est plutôt : suis-je capable d'être indépendant ? » . Quel que soit le crédit que l'on puisse porter à cette analyse pseudo-psychanalytique, M. Baudry fournit quelques remarques indéniablement vraies, qui feront sourire tout Français de bonne foi. « Aux Etats-Unis, les lois sont-elles faites pour être appliquées, ce qui surprend toujours les Français. En France, la loi n'est qu'une gesticulation tout au plus bonne pour les autres » .

Et c'est globalement ainsi que l'on nous voit de l'autre côté de l'Atlantique : la France serait un pays à part, où l'on manifeste tout le temps, où la culture est élitiste, où l'on se réjouit d'être une exception, qu'elle soit culturelle ou juste exceptionnelle. L'existence d'un 13 e mois pour les salariés est « une curieuse pratique française, destinée à rendre les employés de bonne humeur en décembre, mais au prix d'une grogne revendicatrice pendant les 11 autres mois de l'année » , analyse l'américain Ted Stanger, correspondant à Paris pour le magazine Newsweek, dans Sacrés Français ! Un Américain nous regarde . Quant au mythe de la proximité, il nous explique qu'en France « on entretient une certaine nostalgie collective de l'âge d'or, rien de surprenant dans un pays qui s'est industrialisé sur le tard » . La France et les Français interpellent outre-Atlantique. Le journaliste canadien Jean-Benoît Nadeau, dont le livre 60 million Frenchmen can't be wrong : why we love France but not the French connaît un vrai succès aux Etats-Unis, s'interroge : « Comment un pays avec des taxes élevées, des services publics lourds, une dette nationale énorme, une économie sur-régulée, un taux de chômage à deux chiffres et de faibles encouragements pour les entrepreneurs peut avoir le taux de productivité le plus élevé au monde et être la quatrième puissance économique mondiale ? » .

Quant à la vision des Américains qui nous est donnée en France, elle n'est guère plus glorieuse. Après son portrait des Français, Ted Stanger, toujours le même, s'attaque à celui des Américains dans Sacrés Américains ! Nous, les Yankees, on est comme ça . Il nous y présente une Amérique qu'il ne reconnaît plus après 25 ans d'absence. « J'ai découvert un pays d'extrêmes, où le café est trop chaud et la bière trop glacée, où le sein de Janet Jackson déclenche un tollé mais pas les mœurs incroyablement libres des ados. Une nation où les très riches se comptent par millions, et les pauvres sont laissés pour compte » , commence-t-il. Les Américains seraient on ne peut plus patriotiques, peu intéressés par la politique, à courir après les dollars. Les Etats-Unis seraient un pays démesuré, où l'on mange mal, où tout se fait de sa voiture et où la culture se résume grossièrement aux superproductions d'Hollywood.

Mais au fond, et c'est là la limite des analyses interculturelles entre Français et Américains, n'est-ce pas tout bonnement ce qu'un Français souhaite lire sur les Etats-Unis ? Difficile d'échapper au stéréotype. Difficile d'échapper à tant de points communs cachés sous une telle diversité ? Difficile de ne pas tout se pardonner à travers ce paradoxe…

Delphine Soulas