Trends Tendances - 10 juin 2004

D-Day et la théorie du «Go, have fun»

Après la célébration du 60e anniversaire du D-Day, peut-être est-il bon de se plonger dans le récent ouvrage de Pascal Baudry, «Français & Américains» publié aux éditions Village Mondial. Sa lecture est vivifiante et apporte un éclairage sur les multiples causes du désamour entre Européens et Américains. Ainsi, pour expliquer les différences culturelles entre les deux rives de l'Atlantique, Pascal Baudry s'est amusé à observer des mères de famille françaises et américaines avec leurs jeunes enfants sur des aires de recréation et des terrains de jeux. La mère américaine arrive et dit à son rejeton: «Go, have fun!». L'enfant va jouer, s'amuse, tombe et revient en pleurant vers sa mère. Celle-ci le conforte brièvement et, sans nuance de reproche, lui explique sur un ton très factuel ce qui s'est passé, puis ajoute: «You can do it!», et enfin...«Go, have fun!». La mère française (ou tout autre mère européenne), de son côté, commence par un certain nombre de commandements restrictifs: «Ne t'éloigne pas», «Ne parle pas à des étrangers», «Fais attention à ne pas te salir», «Reviens dans cinq minutes», «Reste là où je peux te voir», etc. L'enfant va donc jouer, forcément tomber, pleurer et revenir dans le giron de la mère - qui va l'apostropher: «Je te l'avais bien dit», «Tu n'en fais qu'à ta tête», «Tu peux pas faire attention?», etc. Le tout en sous-entendant: «Tu n'es pas capable», puis elle lui restreint plus avant son espace de liberté: «Reste ici, maintenant ça suffit.»

Pour le psychologue Pascal Baudry, «par leur comportement, chacune de ces mères provoque un clivage chez l'enfant. Dans les deux cas, ce clivage va être douloureux et formateur de la personnalité, mais de façon radicale dans les deux cultures.» Dans la culture américaine, la mère, par le go de «Go, have fun», expulse l'enfant. C'est d'un sevrage social qu'il s'agit, même si cette expulsion est colorée positivement par le have fun . La dernière exhortation présente implicitement une vue de la réalité selon laquelle seul est présenté le bon côté. La réalité est décrite comme hospitalière, et il est évident pour l'enfant qu'il pourra facilement la maîtriser. D'ailleurs, on ne lui laisse pas le choix de voir les choses autrement. Du côté de la mère française, la réalité est décrite comme inhospitalière, voire dangereuse. On est loin du «You can do it».

Ces deux clivages vont avoir un impact sur la psychologie des deux enfants. L'enfant américain va se poser la question: «Si j'ai été sevré si tôt, suis-je aimé?». Pour Pascal Baudry, cela restera la question primordiale de l'Américain, observable tout autant dans son comportement individuel (inquiétude durable sur ce point, préférence pour les nourritures sucrées, ...) que dans l'attitude des Etats-Unis en politique étrangère. N'oublions pas qu'au lendemain de l'exclusion des Etats-Unis de la Commission des droits de l'Homme de l'ONU, le New York Times titrait: «Le monde entier nous déteste!». Après le 11 septembre, Newsweek se posait la même question en une: «Why do they hate us?»

Au lendemain de ce 6 juin 2004, ne serait-il pas plus judicieux de cesser de laisser notre allié américain s'empêtrer dans le bourbier irakien, sous prétexte qu'il l'a voulu, avec en guise de réponse un maternel et très méprisant «Je vous l'avais bien dit». Au fataliste «I told you so» de la mère européenne, ne peut-on lui substituer un plus positif «I want to help»? Ne l'oublions pas: l'échec des USA en Irak serait également notre échec.

Par Amid Faljaoui