Le Figaro, 1er novembre 2004

Erratum. Dans nos éditions du 1er novembre 2004, nous avons attribué à Pascal Baudry, auteur de Français et Américains : l'autre rive (Ed. Village Mondial), un prénonm erroné.

EXPLIQUEZ-VOUS
"Aux États-Unis, on voit ce qu'il y a à gagner. En France, ce qu'il y a à perdre"

La dualité culturelle est le dada de Patrick Baudry. Il fut psychanalyste en France et chef d'entreprise aux Etats-Unis. Il a fondé en Californie un cabinet de conseil qui organise des learning expeditions pour des grands groupes industriels français ou des PME. Professeur au MBA des Ponts et Chaussées il enseigne également à HEC et travaille avec l'Insead. Pour lui , la France "va droit dans le mur" par " manque de vision et de courage ". Son pire défaut : continuer à percevoir tout changement comme une séparation ou une perte. Don Quichotte d'une reviviscence française. Patrick Baudry, qui a réchappé à un accident d'avion et en a été profondément marqué, analyse les déprimes hexagonales. Non sans malice il les juxtapose à l'incurable optimisme américain dont l'un des credo est Where there is a will there is a way.

LE FIGARO. - Dans votre livre L'Autre Rive (Village Mondial) et la BD que vous venez défaire éditer avec Luc Nisset sur les Frenchies vous n'êtes guère indulgents pour vos compatriotes. Pourquoi les Français vous agacent-ils autant ?

Patrick BAUDRY. - J'enrage de voir la France incapable de tirer parti de ses points forts : le goût des nuances la finesse. J'écume quand j'entends les Français opposer leur fameux "mais, bon..." à tout discours sur la réussite, la modernité, le dynamisme. Je vole dans les Plumes quand de retour à Paris je retrouve le "penser petit" caractéristique d'une France qui croit tirer son épingle du jeu, mais en réalité s'enfonce dans le passéisme. Tout n'est pas perdu mais il est temps de réagir, de se réveiller...

Et si les Français ne voulaient pas être réveillés ?

La France peut bien sûr devenir un pays lambda, mais quel gâchis !

Qu'est-ce qui empêche la France d'accéder de plain-pied dans la modernité ? Et tout d'abord qu'entendez-vous exactement par modernité ?

Au niveau zéro la modernité c'est la survie. Par-delà c'est l'aptitude à exprimer le génie singulier du pays tout en étant dans le siècle. Déterminer ce qu'on garde et ce qu'on abandonne. Or en France on ne veut rien lâcher. On espère tout conserver. On cherche la rente. Aux Etats-Unis c'est tout le contraire on veut le profit. Aux Etats-Unis on voit ce qu'il y a à gagner. En France on considère ce qu'il y a à perdre. D'un côté de la rive, vous avez une attitude positive, de l'autre négative.

A votre avis d'où vient cette différence ?

Du sevrage.

Pardon ?

Aux Etats-Unis l'enfant est très tôt jeté dans la vie réelle. En France les mères couvent trop longtemps leur progéniture, la surprotègent. Prenez une aire de jeux. Là vous avez la mère américaine, ici la mère française. La première dit à son fils " Go have fun ". La seconde recommande " Fais attention et ne te salis pas ! ". Vous saisissez la différence ? " Va t'amuser " est libératoire. " Fais attention " est restrictif. Nos deux bambins s'éloignent, tombent, se font mal et reviennent vers leur mère en pleurant. L'Américaine dira : " Try again, you can do it ! " La Française : " Il fallait s'y attendre ! Reste là maintenant ! " Très vite, l'enfant américain apprend à être indépendant et responsable de ses actes. On ne le critique pas mais on le pousse en dehors de la caverne de Platon. L'enfant français fait l'apprentissage inverse. On lui suggère qu'en dehors du giron maternel il n'y a pas de salut. Il reste dans la caverne à contempler les ombres. Et c'est par la suite le recours à l'Etat providence, la Sécu, l'emploi à vie, le statut de fonctionnaire, la couverture chômage, les subventions.

Comment en sortir ?

Penser large.

Propos recueillis Par Irina de Chikoff