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“Français et Américains, l'autre rive” et “Les Frenchies”.
Une interview de Pascal Baudry, par Marie Berthelin. Juillet 2009.

Quels buts poursuivez-vous avec l'écriture de “Français et Américains, l'autre rive” ?

Bien sûr, à un premier niveau, il s'agit de comparer la culture française et la culture américaine. Mais au lieu d'écrire un livre de plus pour décrire des différences culturelles, je me suis essayé à expliquer, ou du moins à interpréter, ces différences. Puisant dans mon expérience de psychanalyste, de dirigeant d'entreprises et de consultant, j'ai voulu aller au-delà des apparences et comprendre pourquoi les Américains et les Français sont comme ils sont, et connecter des aspects disparates de chacune de ces deux cultures. Et comme, ainsi que je le montre dans le livre, comprendre consiste, pour les Français, à relier, alors que pour les Américains, il s'agit de séparer et de placer dans des catégories. Ce travail permet une perception de la culture française (et aussi de la culture américaine) en tant qu' ensemble. On m'a très souvent dit : “Ah, maintenant je comprends pourquoi nous…” ou “– pourquoi les Américains…”. Au passage, on saisit des traits culturels français difficiles à voir de l'intérieur de notre culture. A partir de là, le lecteur français pourra alors choisir entre les aspects qu'il faut protéger et même défendre parce qu'ils constituent notre génie national, et ceux qu'il faut faire évoluer car ils freinent la performance individuelle et collective, sans laquelle il n'y a pas de survie culturelle à long terme. Cette lecture offre aussi des clés pour la compréhension de la dimension culturelle de son identité et l'élargissement corrélatif des options dont on dispose, ce que j'appelle le “développement culturel”.

Comment vous y êtes-vous pris pour faire ces analyses ?

Je suis parti de l'observation. D'abord dans ma propre famille (franco-américaine), en France, puis aux Etats-Unis (et, maintenant, en France où je suis revenu avec ma deuxième épouse, franco-américaine comme moi). Puis dans ma pratique professionnelle : j'ai fondé il y a une vingtaine d'années, en Californie, une société de conseil qui est maintenant le leader mondial de son domaine, ce que nous appelons des “Learning Expeditions” ; il s'agit de séminaires aux Etats-Unis, au Canada, en Chine, en Inde, au Japon ou en Europe, que nous bâtissons sur mesure pour une équipe de direction, pour explorer dans un contexte qui ne lui est pas familier des thèmes de stratégie ou de management. Le but n'est pas là de faire du travail interculturel, mais au cours des quelque 350 Learning Expeditions que nous avons montées, j'ai pu observer des comportements et des croyances culturellement typés de plus de 7 000 dirigeants européens – provenant notamment de plus de la moitié des 50 premières entreprises françaises.

A partir de mes notes, j'ai observé des contradictions au sein d'une même culture, et j'ai essayé de les expliquer en trouvant à chaque fois une racine commune, historique, éducative, institutionnelle ou psychologique à des comportements apparemment contradictoires. Par exemple, comment se fait-il que les Français tendent à penser petit mais sont capables de grands projets ? Ou bien, pourquoi les Américains sont-ils très individués mais aussi très conformistes ?

En novembre 2000, j'ai commencé à mettre sur mon site, un certain nombre d'observations personnelles et d'hypothèses, en demandant aux internautes de réagir.

C'est un aspect original de votre travail, de ne pas l'avoir fait seul…

Pas seul ? Oui et non. J'ai voulu mener cette recherche en solo dans la mesure où je ne voulais pas reproduire des choses déjà écrites par d'autres, car j'avais des intuitions fortes que je ne voulais pas polluer par l'état des connaissances généralement accepté dans le domaine. Je me suis donc interdit de lire la littérature existante sur le sujet pendant toute la phase initiale d'écriture – je sais que ce n'est pas une approche universitaire classique, mais, avec une trentaine de concepts nouveaux dont possiblement deux ou trois majeurs, je visais un degré d'innovation plus élevé, possible car je n'avais pas à me préoccuper de l'avis d'un directeur de thèse ou du jugement de mes pairs. Mais du coup, il fallait une validation extérieure, et je l'ai trouvée en sollicitant les réactions des lecteurs. J'ai ainsi reçu depuis plus de 6 000 e-mails, qui m'ont aidé à approfondir la réflexion et l'écriture, lors de mises à jour périodiques…

… c'est alors que vous avez contacté des éditeurs français pour sortir votre cyberlivre en librairie tout en continuant d'en proposer la version gratuite sur le Web ?

Oui, j'ai approché seize éditeurs français, dont douze m'ont fait comprendre en des termes divers, parfois moqueurs, qu'il était évidemment stupide de proposer un même livre sous forme gratuite sur le Web et payante en librairie. Seuls Village Mondial (Pearson Ed.) et un autre éditeur ont été partants pour tenter cette première. On voit bien là une application de cet aspect de la mentalité française que j'appelle le “ou – ou”, selon laquelle, par exemple, ou bien une chose est gratuite ou bien elle est payante, mais pas les deux. Il faut choisir. Fromage ou dessert. Ce n'est que lorsque j'ai découvert la croyance américaine d'abondance (“il y en aura assez pour tout le monde”) que j'ai pu articuler l'un des blocages français fondamentaux, qui nous conduit à penser en statique et non en dynamique. D'où cet écran quelque peu provocateur, sur le site pbaudry.com, “Si vous voulez ce livre gratuitement, cliquez ici – Si vous voulez le même livre en payant, cliquez là.”

Et les lecteurs ont cliqué ?

Eh oui, parce que la version traditionnelle et la version électronique se renforcent mutuellement : c'est parce qu'il y avait déjà plusieurs dizaines de milliers d'internautes (dont des journalistes) qui connaissaient le cyberlivre qu'un fort bouche à oreille a fait son œuvre quand la version papier est sortie. La première édition papier du livre a engendré à elle seule plus d'une quarantaine de passages identifiés dans les médias (sans compter autant de pics de téléchargements dus sans doute à des articles non identifiés). On a maintenant dépassé la centaine. Or, que cherche un éditeur lorsqu'il lance un livre, sinon un fort buzz dans les quelques semaines dont il dispose avant qu'un livre nouveau tombe dans l'oubli ? Inversement, l'édition papier entraîne des commentaires par e-mail et enrichit un texte que de nombreux lecteurs m’ont dit avoir lu plusieurs fois.

Vous voyez que cette approche originale a apporté deux avantages : la possibilité, à très peu de frais, de savoir exactement où était mon lectorat et ce qui l'intéressait, et la constitution d'un corps de lecteurs très motivés parce qu'en dialogue permanent avec l'auteur, qui ont été prosélytes lorsque le livre est sorti. À la parution de la troisième édition papier, nous en étions à plus de 130 000 lecteurs (sans compter les copies non enregistrées), et les 40% de texte nouveau par rapport à la première édition correspondent pour beaucoup à des thèmes suggérés par les internautes.

Alors ce n'est pas tout-à-fait votre livre ?

Si je peux me permettre (comme on dit… en français), dois-je voir dans cette question une perspective très française ? Franchement, est-ce que faire appel à l'intelligence collective du lectorat et pas seulement à l'intelligence (putative) de l'auteur diminue en quoi que ce soit les mérites d'un livre ? Faudrait-il en rester à l'héroïsme individuel d'un l'auteur réputé omniscient, presque divin, qui écrirait depuis son Valhalla sans avoir besoin de se pencher pour savoir où sont ses lecteurs, tel l'Etat par rapport à “ses” administrés, le maître par rapport à “ses” élèves, le médecin et “ses” patients, le commerçant et “ses” clients ? Mais je vous rassure. J'ai gardé la maîtrise des thèmes abordés, et l'essentiel des interprétations présentées sont miennes, tout en ayant pu soumettre mes perspectives subjectives à l'écho pluriel des lecteurs.

Justement, quels sont les lecteurs de “Français et Américains, l'autre rive” ?

La présence du livre sur le Web permet de dresser des statistiques de téléchargement ; les très nombreuses conférences que je donne aux Etats-Unis et en France, à titre payant ou pro bono, me fournissent aussi des indices. Par ordre décroissant, les lecteurs sont des expatriés français aux Etats-Unis, ceux à qui ils offrent ou conseillent le livre en France, notamment des collègues, amis et membres de leur famille restés au pays, puis des cadres d'entreprises franco-américaines, des enseignants et des étudiants de français et d'études interculturelles aux Etats-Unis et aussi en France, et enfin des couples biculturels.

Qu'y a-t-il d'original dans ce livre ?

La plupart des ouvrages sur l'interculturalité sont seulement descriptifs, les auteurs prenant rarement le risque de faire des interprétations. L'avenir dira si celles auxquelles je me suis livré sont les bonnes. Si oui, le livre deviendra un classique. Je note en attendant, outre son succès numérique, qu'il est référencé dans un bon nombre de French Departments de grandes universités américaines.

Parmi les interprétations du livre les plus remarquées en ce qui concerne les Français figurent celles relatives au rôle des forts attachements maternels dans notre culture – je crois avoir poussé assez loin l'analyse sur ce plan. Dans la deuxième édition, je creuse beaucoup plus la place du père français, absent ou tyrannique, et les perspectives d'évolution ouvertes à notre culture. Dans la troisième édition, j’approfondis en quoi les modes de pensée sont différents dans nos deux cultures.

Quant aux différences culturelles franco-américaines proprement dites, les très nombreuses réactions d'expatriés (ou anciens expatriés) français aux Etats-Unis me montrent que je les aide à mettre des mots sur des situations qu'ils vivent intuitivement et qu'ils essayent d'expliquer aux amis et membres de la famille restés au pays. Cette conceptualisation permet de clarifier certains contours de la culture française, par effet de ricochet en face de la culture américaine – qui ne sert pas ici de référent, mais de miroir.

Par ailleurs, dans un chapitre-clé, je crois avoir identifié le tabou central de la culture française. Je ne peux pas en rendre compte ici en deux phrases. Ce chapitre donne lieu à des développements dans le livre suivant, Mais Bon ! Essai sur la mentalité française, car je crois avoir mis le doigt sur un mécanisme central de la systémique à l'œuvre dans des blocages français. Je ne mets pour l’instant en ligne qu’une fraction de ce livre, en attendant de voir si les changements politiques actuels en France vont se traduire par une inflexion historique des mentalités, ou vont faire l’objet d’un rejet massif. Je reprendrai la publication en ligne de Mais Bon ! quand j’y verrai plus clair sur ce point essentiel.

 
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